Concrétiser la vision pour le Parc National de Kahuzi-Biega, les peuples autochtones et les communautés locales : étapes pour construire ensemble un avenir positif

Mont Kahuzi © PNKB

===English version below===

En février de cette année, nous avons exposé la vision de la Wildlife Conservation Society (WCS) pour le Parc National de Kahuzi-Biega (KBNP), afin de développer un nouveau paradigme et de transformer un lourd passé d’injustices à l’encontre des peuples indigènes en un modèle de conservation efficace basé sur les droits humains. En avril 2022, nous avons signé un nouvel accord de partenariat public-privé (PPP), étape nécessaire pour apporter des changements et concrétiser cette vision. Depuis que nous avons repris la gestion du Parc, nous avons élaboré une stratégie de mise en œuvre à court et à long terme. Dans l’immédiat et à moyen terme, nous avons donné la priorité à la mise en place de mécanismes de gouvernance et de partage des revenus transparents et équitables, à la conception de systèmes de gestion des ressources naturelles qui soient équitables et culturellement adaptés, à des discussions sur les droits coutumiers et les droits des usagers, et à la conception d’un processus de réconciliation entre les Batwa et le gouvernement pour discuter des griefs et des injustices passés. Le rôle des chefs traditionnels est essentiel à notre réussite, tant pour le Parc que pour la population, car ils doivent chercher à surmonter les profondes divisions et les points de vue polarisés actuels afin de protéger la riche biodiversité du Parc et de respecter les droits de l’homme. La volonté politique et l’engagement de l’État sont aussi nécessaires, avec le soutien de la communauté internationale au sens large, pour maintenir paix, stabilité et bonne gouvernance.

Le PPP est entré en vigueur le 12 mai 2022. À partir de ce moment, les opérations conjointes entre les rangers de l’ICCN et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont été suspendues à l’intérieur du Parc, tandis que des discussions sur un cadre d’entente basé sur les droits de l’homme étaient entamées. Pour qu’une unité de l’armée puisse être stationnée dans l’enceinte du Parc, elle doit faire preuve de vérifications du point de vue des droits de l’homme, avec une séparation claire des tâches et des responsabilités par rapport aux gardes forestiers du Parc et leurs opérations. Comme par le passé, aucun membre du personnel de WCS n’a participé, ne peut participer ou ne participera à une quelconque activité anti-insurrectionnelle menée par les Congolais pour éradiquer les groupes armés présents dans les limites du Parc. Les gardes du Parc effectueront des patrouilles pour surveiller les actes de déforestation, de braconnage, de destruction de l’habitat du Parc et d’appropriation illégale de terres forestières pour l’agriculture, et appliqueront les lois relatives à la conservation. Toute arrestation effectuée pour ces raisons sera suivie d’un strict respect des droits de l’homme et de procédures opérationnelles standard par rapport auxquelles leur application sera contrôlée. Nous nous engageons à une transparence totale dans la gestion du Parc et nous communiquerons les résultats des actions de gestion par des mises à jour officielles et régulières sur le site officiel du Parc National de Kahuzi-Biega. WCS et l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) amélioreront également la rémunération et les conditions de travail des gardes forestiers afin qu’ils puissent accomplir leurs tâches avec professionnalisme, respect et dignité.

Sur la base d’expériences et de consultations antérieures, WCS est en train de mettre en place un mécanisme de réparation des griefs permettant à tout tiers ou individu de déposer une plainte. Un mécanisme de vérification et d’enquête solide garantira que la plainte aboutisse à une conclusion avec une recommandation de recours le cas échéant. Un médecin et un psychologue sont disponibles sur place pour les personnes qui se plaignent d’une violation des droits de l’homme et nous travaillons avec des partenaires locaux pour veiller à ce que des spécialistes soient référés en cas d’allégations d’exploitation sexuelle, d’abus ou de viol. Ce service gratuit est également mis à la disposition des personnes blessées lors de traversées de routes ou d’accidents de la circulation dans le Parc.

Pour améliorer la responsabilité envers le public, la Direction du Parc a ouvert un canal de communication et de partage d’informations avec les communautés et les acteurs de la société civile, auquel le Directeur du Parc participe directement. Outre l’écoute des communautés, la Direction du Parc s’engagera régulièrement par le biais de réunions trimestrielles de coordination des partenaires, de réunions semestrielles de coordination des sites et de divers échanges avec la société civile. Il est important que le Parc partage des mises à jour régulières par le biais de bulletins d’information, de radios communautaires et de mises à jour sur les réseaux sociaux. Ce partage d’informations visera également à clarifier tout malentendu potentiel créé par de fausses informations ou des rapports inexacts.

La feuille de route du Parc sur 12 mois comprend la création d’une unité conjointe (ICCN-WCS) des droits de l’homme située à son siège. Une formation sur les droits de l’homme sera dispensée à l’ensemble du personnel travaillant pour le Parc, ainsi que des cours de mentorat et de remise à niveau. Nous allons également revitaliser les comités de conservation communautaire (CCC) afin d’assurer une plus forte représentation des communautés Batwa, des jeunes et des femmes pour fournir un mécanisme formel pour la participation des peuples indigènes et des communautés locales dans la gouvernance des ressources naturelles et fournir un retour d’information à la Direction du Parc.

Un Conseil pour la gouvernance du Parc est actuellement en cours de constitution avec quatre membres nommés par WCS, trois membres nommés par l’ICCN et deux membres de la société civile. En outre, la composition initiale du Conseil comprendra un membre des peuples Batwa, ainsi qu’un membre des communautés locales du secteur sud du Parc. Ces deux personnes serviront de co-responsables au sein du sous-comité du conseil d’administration afin de développer un mécanisme consultatif pour la nomination des futurs membres du conseil d’administration issus des Batwa et des communautés locales. Un comité consultatif sera également mis en place sous les auspices du Conseil avec une large participation des peuples autochtones et des communautés locales autour du Parc.

Alors que nous établissons le cadre de gouvernance institutionnelle et que nous nous projetons au-delà de douze mois, plusieurs domaines nécessitent une conception minutieuse et un engagement à long terme, notamment un processus de réconciliation, le développement de services écosystémiques, des stratégies de subsistance à long terme et un dialogue avec les peuples Batwa sur leurs droits coutumiers par rapport au Parc.

Nous évaluons actuellement la manière d’avancer officiellement dans la mise en œuvre de la Déclaration de Bukavu sur le dialogue de haut niveau sur le processus de protection durable du Parc National de Kahuzi-Biega et la cohabitation pacifique entre le Parc, les peuples autochtones et les autres communautés riveraines (la feuille de route de Bukavu). Cet accord est issu de la résurgence passée de conflits violents et a été signé en 2019 par différents chefs de clan Batwa et leurs organisations d’accompagnement (REPALEF Sud-Kivu, UEFA, CAMV, Strongroots, PIDP, ANAPAC), le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, les députés nationaux et les députés provinciaux du gouvernement congolais. Plusieurs des actions de la feuille de route de Bukavu ont été identifiées comme des priorités dans le nouveau plan stratégique quinquennal du Parc, notamment l’apport d’un soutien direct et durable aux communautés situées autour du Parc (Batwa et autres communautés). Le soutien à la gestion communautaire de leurs territoires par le biais des CCC, la démarcation participative et les plans de développement local seront initiés dans les 12 prochains mois et devraient être achevés dans les trente prochains mois.

Certains aspects de la feuille de route de Bukavu ont déjà été mis en œuvre. Par exemple, le nouvel accord de gestion a révisé favorablement les conditions actuelles de partage des bénéfices du tourisme, avec 70 % des revenus totaux conservés sur le site (contre 50 % auparavant), dont 20 % seront alloués au développement communautaire. Une évaluation complète du modèle commercial du tourisme sera menée en septembre 2022 pour s’assurer qu’il est culturellement approprié et respectueux, y compris des recommandations pour le développement et la mise en œuvre d’une stratégie complète et équitable de partage des bénéfices.

Pour tout progrès significatif sur le long terme, il est essentiel de s’attaquer aux injustices du passé et d’empêcher la génération suivante d’absorber ces héritages afin de guérir et de prévenir les conflits futurs. Dans le cas de Kahuzi-Biega, il est important d’impliquer les aînés de la communauté, les chefs traditionnels, les jeunes et les personnes jouissant d’une certaine crédibilité à travers le paysage pour remédier à la méfiance et la polarisation qui prévalent. Au cours des douze prochains mois, WCS concevra et mettra en place un processus de réconciliation entre les clans Batwa, l’ICCN, les FARDC et le gouvernement provincial et national. Des processus de dialogue et d’accord antérieurs, tels que la feuille de route de Bukavu et le processus de Whakatane, serviront de base à l’élaboration du processus. Nous prévoyons que ce processus, une fois établi, sera facilité par une tierce partie neutre et indépendante et se déroulera parallèlement au plan de gestion stratégique et à ses activités associées. L’objectif à long terme de ce processus serait d’établir la confiance et de progresser vers une paix durable entre les Batwa et l’État.

En termes d’actions plus immédiates dans le domaine de la résolution des conflits, WCS va également recruter une personne en charge de la résolution des conflits d’ici la fin de l’année. Cette personne aura une bonne connaissance de la situation à Kahuzi-Biega et sera chargée de concevoir un système d’alerte précoce et de travailler avec les ONG pour suivre les problèmes émergents et les déclencheurs potentiels de conflits, d’assurer la liaison avec le mécanisme de réparation des griefs du Parc pour comprendre les plaintes qui ont une dimension de conflit social, de concevoir une stratégie de résolution des conflits au niveau local et de travailler avec les partenaires pour déployer efficacement les ressources de résolution des conflits dans et autour du parc.

En nous appuyant sur notre expérience de travail avec les peuples indigènes, les communautés locales et la gestion des aires protégées, nous nous rappelons constamment que le chemin vers un progrès équitable au sein du Parc National de Kahuzi-Biega n’est ni simple ni facile. Bien que notre mission se situe à l’intérieur du Parc, les zones adjacentes et le contexte plus large de la violence, des inégalités et de la discrimination doivent être abordés par le biais de diverses formes de partenariats. Celles-ci sont essentielles pour s’attaquer aux inégalités structurelles et sociales et à la discrimination auxquelles sont confrontés depuis longtemps les peuples indigènes Batwa.

Nous sommes convaincus que la reconnaissance des droits coutumiers, des connaissances autochtones et d’un rôle clé dans la prise de décision nous aidera à construire un avenir qui concrétisera la vision des Batwa et définira un nouveau cadre pour le Parc, où les populations et le Parc non seulement survivront mais prospéreront collectivement.


Sushil Raj, Directeur exécutif, Droits et Communautés, Wildlife Conservation Society

Deo Kujirakwinja, Directeur et Chef de Site, Parc National de Kahuzi-Biega

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From vision to action for Kahuzi-Biega National Park, Indigenous Peoples, and Local Communities: steps in building a positive future together

In February of this year, we laid out the Wildlife Conservation Society’s vision for Kahuzi-Biega National Park (KBNP) to develop a new paradigm and turn a history of injustices against Indigenous Peoples into a model for effective rights-based conservation. And in April of 2022 we signed a new public-private partnership (PPP) agreement as a necessary step to effect change and realize this vision. Since taking over the management of the Park, we have developed an implementation strategy for both the short and long-term. In the immediate and medium term, we have prioritized the building of transparent and equitable governance and revenue sharing mechanisms, the design of equitable and culturally appropriate systems of natural resource management, discussions on customary and user rights, and the design of a reconciliation process between the Batwa and government to discuss longstanding grievances and injustices. Essential to our success for both the Park and the people is the role of traditional leaders in seeking to overcome the current deep divide and polarized viewpoints in order to protect the Park’s rich biodiversity and respect human rights. It also requires the political will and commitment of the state with support from the wider international community to sustain peace, stability and good governance.

The PPP came into effect on May 12, 2022. From this point, joint operations between ICCN rangers and the Armed Forces of the Democratic Republic of the Congo (FARDC) were suspended inside the Park as discussions on a framework of understanding based on human rights were initiated. For an army unit to be stationed inside the park it must be human rights vetted with a clear separation of duties and responsibilities from the Park’s rangers and their operations. In keeping with the past, no WCS staff has, can, or will participate in any counter-insurgency activity conducted by the Congolese to root out armed groups found within the boundaries of the Park. Park rangers will conduct patrols to monitor acts of deforestation, poaching, destruction of park habitat, and illegal appropriation of forest land for agriculture, and enforce related conservation laws. Any arrests made for these reasons will be followed under strict human rights compliance and standard operating procedures against which their performance will be monitored. We commit to full transparency in Park management and we will communicate the results of management actions through official and regular updates on the official Kahuzi-Biega National Park website. WCS and the Congolese Institute for Nature Conservation (ICCN) will also improve the pay and working conditions of the park rangers so that they can perform their duties with professionalism, respect, and dignity.

Building on prior experience and consultations, WCS is currently setting up a Grievance Redress Mechanism with the ability for any third party or individual to submit a complaint. A robust verification and investigation mechanism will ensure the complaint reaches a conclusion with a recommendation for remedy where appropriate. An on-site doctor and psychologist are available for people with claims of human rights abuse and we are working with local partners to ensure referrals to specialists can be made for any allegations of sexual exploitation, abuse, or rape, should they arise. This free facility is also made available to those injured in road crossings or traffic accidents within the Park.

To improve accountability towards the public, the Park Management has opened a channel of communication and information sharing with communities and civil society actors, which the Park Director is directly participating in. Apart from hearing from communities, the Park management will engage regularly through quarterly partner coordination meetings, semi-annual site coordination meetings, and various civil society engagements. Importantly, the Park will share regular updates through newsletters, community radio, and social media updates. Such information sharing will also seek to clarify any potential misunderstandings created by false information or inaccurate reporting.

The Park’s 12-month road map includes the establishment of joint (ICCN-WCS) human rights unit at the Park headquarters. Human rights training will be provided to all staff working for the Park along with mentorship and refresher courses. We will also revitalize the community-conservation committees (CCC) to ensure stronger representation of Batwa communities, youth, and women to provide a formal mechanism for the participation of Indigenous Peoples and local communities in natural resource governance and provide feedback to the Park Management.

A Board for the governance of the Park is currently being constituted with four WCS-nominated members, three ICCN-nominated members and two civil society members. Additionally, the initial Board composition will include one member from the Batwa peoples, as well as one from local communities in the southern sector of the Park. These two will serve as co-leads within the Board subcommittee to develop a consultative mechanism for the nomination of subsequent Batwa and local community Board members.  An Advisory Committee will also be set up under the auspices of the Board with broad participation from Indigenous Peoples and local communities around the Park.

As we lay the institutional governance framework and look beyond twelve months, there are several areas that require careful design and long-term engagement including a reconciliation process, development of ecosystem services, long-term livelihood strategies, and dialogue with the Batwa peoples over their customary rights in relation to the Park.

We are currently assessing how to formally move forward with the implementation of the Bukavu Declaration on the High-Level Dialogue on the Process of Sustainable Protection of Kahuzi-Biega National Park and Peaceful Cohabitation between the Park, Indigenous Peoples, and other Riparian Communities (the Bukavu Roadmap). This agreement emerged from the past surge of violent conflict and was signed in 2019 by various Batwa clan leaders and their accompanying organizations (REPALEF Sud-Kivu, UEFA, CAMV, Strongroots, PIDP, ANAPAC), the Ministry of Environment and Sustainable Development, National Deputies, and Provincial Deputies of the Congolese government. Several of the actions from the Bukavu Roadmap have been identified as priorities in the Park’s new 5-year strategic plan, including the provision of direct and sustainable support to communities around the Park (both Batwa and other communities). Support for community-based management of their territories through CCCs, participatory demarcation, and local development plans will be initiated within the next 12 months and are expected to be completed within the next thirty months.

Some aspects of the Bukavu Roadmap have already been actioned. For example, the new management agreement has favorably revised the current terms of benefit sharing from tourism, with 70 percent of total revenue retained at site (compared to 50 percent previously) of which 20 percent will be allocated for community development. A full evaluation of the tourism business model will be conducted in September 2022 to ensure it is culturally appropriate and respectful, including recommendations for the development and implementation of a comprehensive and equitable benefits sharing strategy.

Essential to any meaningful progress over the long-term is the importance of addressing past injustices, and the multi-generational hurt to shield the next generation from absorbing such legacies in order to heal and prevent future conflicts. In the case of Kahuzi-Biega it is important to bring in elders from the community, traditional leaders, young people, and people with credibility across the landscape to help address the distrust and polarization that exists. Over the next twelve months, WCS will design and set up a reconciliation process between the Batwa clans, the ICCN, FARDC and provincial and national government. Previous dialogue and agreement processes such as the Bukavu Roadmap and the Whakatane Process will serve as foundations to be built upon. We anticipate this process, once established, would be facilitated by a neutral and independent third party and run in parallel to the strategic management plan and its associated activities. The long-term goal of this process would be to build trust and move towards a durable peace between the Batwa and the State.

In terms of more immediate action in the area of conflict resolution, WCS will also hire a conflict resolution point person by the end of this year with good knowledge of the Kahuzi situation who will devise an early warning system and work with NGOs to keep track of emerging issues and potential conflict triggers, liaise with the Park’s Grievance Redress Mechanism to understand complaints that have a dimension of social conflict, devise a strategy for local level conflict resolution, and work with partners to deploy conflict resolution resources effectively in and around the Park.

As we draw upon our experience of working with Indigenous peoples, local communities, and protected area management, we are consistently reminded that the path to equitable progress in Kahuzi-Biega National Park is neither straightforward nor easy. Although our remit lies within the Park, the adjacent areas and broader context of violence, inequalities, and discrimination all must be addressed through various forms of partnership. These are essential to tackling the long-standing structural and social inequalities and discrimination faced by the Batwa Indigenous Peoples.

We strongly believe that recognition of customary rights, Indigenous knowledge, and a key role in decision making will help us build towards a future that realizes the Batwa peoples’ vision and sets a new framework for the Park, where both people and the Park not only survive but thrive collectively.

Sushil Raj, Executive Director, Rights + Communities, Wildlife Conservation Society

Deo Kujirakwinja, Park Director, Kahuzi-Biega National Park

Auteur :La rédaction